Document de visite de l'exposition " Etats de sièges "


Ci-dessous le document de visite (corrigé au chapitre 3) distribué aux visiteurs de l'exposition " Etats de sièges " organisée par le Centre des Monuments nationaux à la Villa Cavrois © CMN - Claude Courtecuisse / Paul-Hervé Parsy


Cette exposition a pour ambition de présenter un choix précis sélectif de pièces sur le thème du siège ayant marqué l'histoire du design au XXème siècle.

Les sièges ont toujours identifié et témoigné des différents modes de vie, des comportements et des mouvements de la société. Les pièces retenues tentent par leurs innovations et leurs procédures de création d'identifier le parcours et les différentes étapes du XXème siècle, depuis l'affirmation de l'ère industrielle jusqu'à l'époque actuelle.

Cette sélection est fondée sur le principe de la " confrontation ". Elle met en vis à vis, à chaque fois, à travers 13 thèmes, deux sièges, parfois trois, dont le choix repose sur la relation opposée ou critique du concept et du scénario ayant initié la production de leurs formes.

Un texte associé à chaque ensemble présente, par une analyse conceptuelle, l'argument historique, sociologique, technologique ou artistique mis en œuvre. Il situe l'importance de ce domaine de la création d'un siège qui, au delà de sa présence permanente au sein des comportements, est un sujet récurrent que tout designer ou architecte se doit d'affronter. Parmi les trois postures basiques du corps humain -debout-assis-couché-, seule celle de l'assisse impose un point d'appui ou une prothèse. Le siège étant étymologiquement le lieu du pouvoir il permet d'être à la fois " passif et actif ", " immobile et pensant ".


1 Elévation / Inversion


Fauteuil rouge : Donna UP 5 et UP 6, Gaetano Pesce, 1969, Ed. B&B Italia
Tripode vert : Allunaggio, Pier Giacomo, Achille Castiglioni, 1966, FRAC

La première lecture face à ces deux créations est celle de l'opposition de leur volumétrie: pleine et ronde pour Donna, maigre et filiforme pour Allunaggio.

La Donna, lorsqu'elle apparaît, remet profondément en question à la fois l'apparence conventionnelle d'un siège par la référence au corps humain et plus encore par la technologie employée. Cette technologie innovante révolutionne la conception traditionnelle du produit: livré compressé dans une membrane plastifiée, cela réduit l'encombrement de son stockage et en facilite le transport et la livraison. Mais l'aspect innovant de cette création est encore plus spectaculaire lorsque l'acheteur découpe la membrane et que le corps de cette Donna émerge de son « placenta » comme une Eve naissante et redondante dans laquelle il viendra confortablement se lover. Ici le siège dépasse la simple fonctionnalité de l'assise pour provoquer chez son utilisateur des appropriations comportementales offertes à tous les fantasmes que la psychanalyse se chargera (éventuellement) de décrypter...

Inversement Allunaggio s'oppose, dans sa relation à l'espace, en évoquant un alunissage dans la tranquillité, le calme, régnant, sous les ombrages des jardins. Pensée et conçue trois ans avant que le LEM (Lunar Excursion Module) transporté par la fusée Apollo 11 ne se pose réellement sur la lune, l'œuvre est prémonitoire. Les frères Castiglioni auraient observé et étudié, comme source d'inspiration, les références technologiques de la conquête spatiale. Ils les traduisent, ici, avec un humour poétique, par cette mini-assise reposant sur ce large trépied aux disques stabilisateurs, pour un atterrissage sur un sol devenant par cette installation terre inconnue....


2 Géométrie variable


Fauteuil pliant : Trice Chair, Hannu Kähönen, 1987, FRAC
Tabouret : Siège pliant, 1920, Ed. Inconnue

Ces deux créations s'inscrivent dans les projets de mobilier conçus pour l'espace mobile du voyage. De ce fait, ce mobilier implique des contraintes complexes et rigoureuses, notamment dans la géométrie variable de son encombrement, de son transport et de sa manipulation.

Le siège SP. répond de manière la plus économique et radicale à ce programme par un assemblage de lattes de bois qui se déploient pour l'assise et s'entrecroisent dans un seul plan pour un encombrement minimal et un transport aisé. Destiné en principe aux pèlerins qui se rendaient à Rome pour voir le pape, il offrait un confort réduit pour une posture attentive et recueillie.

Le siège de Kähönen répond aux mêmes exigences de mobilité, mais, inversement, en offrant dans cette géométrie variable un confort plus sophistiqué. C'est le défi de son concept de construction qui, dans un volume très réduit, déploie un prisme de tiges croisillonnées, habillées d'une toile de spi. Ainsi sa légèreté exceptionnelle offre la possibilité d'accompagner son propriétaire voyageur dans des lieux parfois peu accessibles, l'autorisant à savourer un repos mérité, mais, à l'inverse du siège SP., dans des postures confortables de salon.

3 Ascétisme / Esthétisme


En métal : Siège Mezzadro, Pier Giacomo, 1954-57, FRAC
En bois : Butterly, Sori Yanagi, 1957, Ed. Vitra

Butterfly est une réponse inscrite dans la culture japonaise de l'espace et de l'objet. Il est aussi une exploration du matériau - ici du bois - dans une mise en forme qui en exalte la matière et sa capacité technique. Le double cintrage des plans de bois rassemblés par une fixation centrale, offre une forme d'accueil ergonomique presque sacrée. Cette forme interroge et met en scène le circuit mental qui l'a pensée et créée. 

Mezzadro s'oppose dans sa conception à Butterfly parce qu'on peut supposer qu'il relève, en se référant à certains enjeux artistiques soulevés par l'œuvre de Marcel Duchamp, du concept de ready-made*. En empruntant l'assise métallique d'un tracteur et en la déplaçant de son contexte mécanique pour la mettre en scène sur un piétement à l'élaboration sophistiquée, les frères Castiglioni provoquent un télescopage de références opposées. Ainsi ils transfèrent non sans ironie le sujet issu « du champ » de la culture agricole, vers celle de l'art mais aussi celle plus fonctionnelle et urbaine de l'habitat.


Signalons que cette démarche, soixante ans plus tard, est particulièrement éloignée de celles que l'époque actuelle, face aux enjeux écologiques, pourrait inscrire dans des procédures de récupération et de recyclage. **

* ready-made: objet produit industriellement exposé comme œuvre d'art.
** ce paragraphe est déplacé à cet endroit par rapport au texte imprimé qui comporte une erreur, comme nous l'a signalé Claude Courtecuisse.

4 Radicalité / Littéralité


En métal : Chair, Robert Mallet-Stevens, 1928, Ed. Habitat
En bois : Supperleggera, Gio Ponti, 1951-57, Ed. Casino

Particulièrement perceptible dans cette confrontation, le sujet « chaise » apparaît comme la référence absolue de la création pour tout architecte intervenant dans ce qui constitue l'espace intime de l'habitation. Elle est un objet sollicité en permanence par sa nécessité fonctionnelle quotidienne, qui impose dans sa conception ergonomique de nombreuses exigences et contraintes associées à son industrialisation. 

Chair et Superleggera sont deux stéréotypes emblématiques de la détermination d'une pensée théorique, de sa démarche et de son accomplissement, face aux exigences d'une fabrication et d'une commercialisation. Robert Mallet Stevens radicalise sa conception pour un usage dans les espaces collectifs en utilisant l'industrialisation du tube métallique que de nombreux architectes et designers vont explorer à cette époque. 

Conception initiée par les idées très progressistes de l'école allemande du Bauhaus, affirmant, dans une esthétique du dépouillement, que la forme doit être soumise à la fonction et à l'affirmation du matériau. Gio Ponti procède de la même façon avec la même exigence et la même rigueur vingt ans plus tard, mais en investissant, avec une maîtrise d'une complexité absolue, la technique du bois. Les composants et les assemblages sont étudiés comme une architecture, à la limite des capacités de résistance. L'élégance de sa structure épurée, d'une extrême légèreté, l'identifiera tout en la qualifiant : « super leggera ».

5 Soumission / Révolution


Couleur verte : Universal Model, Joe Colombo, 1965-67, Ed. Kartell
Couleur grise : Chaise Solid C2, Patrick Jouin, 2004, Ed. MGX by Materialise

De quelle manière intervient la technologie dans la démarche du designer au cours de la procédure de fabrication et de mise en forme de son projet ?

Universale Modèle est étudiée et produite lors de l'apparition des matières plastiques qui vont révolutionner l'univers du design industriel. L'injection de cette matière implique des moules complexes et volumineux. Afin d'en réduire le coût financier, Joe Colombo décompose la chaise en plusieurs parties en se limitant dans un premier temps à l'unité de base: siège, dossier. Les quatre pieds identiques font l'objet d'un second moulage beaucoup plus réduit et sont assemblés par la suite. Cette conception lui offre la possibilité concevoir trois types de piètements : bas pour chauffeuse, normal pour chaise basique et haut pour siège de bar.

Quarante ans plus tard Patrick Jouin s'investit dans la technologie de l'impression en 3D (stéréolithographie) qui remet en question, en les supprimant, toutes les contraintes traditionnelles du moulage et ses obligations de volumétrie en dépouille. À travers cette liberté, Patrick Jouin met en forme d'une création volontairement démonstrative et provocante par l'entrecroisement de composants issus d'un graphisme crayonné qui donnent forme à une « apparence » de chaise.

6 Lévitation / Contradiction


A gauche : Chaise Panton, Verner Panton, 1959-60 3ème édition, FRAC
A droite : Ed Archer, Philippe Starck, 1987, Ed. Triade

La chaise Panton, du nom de son auteur est la première création qui incarne le sujet « siège » dans l'usage de la technique d'injection spécifique aux matières plastiques que tous les designers tentaient d'accomplir dès les années 1960. Elle impose une esthétique éliminant toutes les références des piètements traditionnels, offrant enfin, après plusieurs tentatives technologiques dans ce nouveau matériau, cette apparence tant recherchée du corps assis en lévitation. Défi auquel il faut associer Marcel Breuer, Mart Stam et Mies Van Der Rohe qui l'avaient déjà accompli vers 1928, mais grâce à la technologie du tube métallique.

Citons le prototype de Gunnar Aagaard Andersen réalisé en grillage et papier journal (1952) non abouti, mais qui a inspiré la version accomplie de Verner Panton.

Philippe Starck va ironiser sur cette procédure de l'assise qui met le corps en lévitation. En réalisant Ed Archer il construit une structure gainée dont la forme se réfère à la chaise Panton mais en assurant d'une manière provocante la stabilité sécurisée du siège par l'installation d'une béquille imposante, renforcée par l'apparence de sa matière chromée.

7 Transparence / Apparence


Tabouret : Lucien, Emmanuel Bénet, James Tinel, 2003, ED. Achille
Fauteuil : Louis Ghost, Philippe Starck, 2001, Ed. Kartell

Louis Ghost et Lucien participent d'une démarche qui s'inscrit dans une relecture de créations antérieures, répertoriées, stéréotypées. Philippe Starck ré-analyse un siège classique de style attribué à l'époque Louis XVI alors qu'E. Bénet et J. Tinel se concentrent inversement, dans un engagement plus provoquant, sur le traditionnel tabouret en bois. 

La transparence de la matière plastique est particulièrement significative pour réécrire ces sièges dans une nouvelle apparence, contemporaine. Elle rend ces objets immatériels, distanciés de leur fonctionnalité, évacuant ainsi tout encombrement visuel et donnant à l'utilisateur le sentiment de s'asseoir en lévitation. 

La nouvelle version du siège Louis XVI relève d'une esthétique classique, appartenant a un registre d'un style historique classé et reconnu. Celle du tabouret Lucien, objet modeste et d'une esthétique uniquement fonctionnelle, prend une dimension plus innovante et provocante. Cette réincarnation presque invisible le fait paradoxalement renaître, lui si souvent ignoré.

8 Tube à l'étude


A gauche : Wassily, Marcel Breuer, 1926-27, Ed. Knoll
A droite : Love me tender, Didier Fuiza Faustino, 2000-2001, FRAC

Wassily identifie, par l'utilisation très rationnelle et fonctionnelle des matériaux, les idées sociales progressistes que développait l'école ou Bauhaus en Allemagne, à Weimar dans les années 1925. Le siège est composé d'éléments séparés, d'une structure linéaire, tubulaire et de garnitures en cuir rapportées, remettant en cause, par sa fonctionnalité radicale affirmée, la conception de la production traditionnelle programmée pour un public en quête de reconnaissance sociale. On ne peut analyser Love me tender sans faire référence à celui de Marcel Breuer.

Bien qu'il soit d'un diamètre très supérieur Love me tender se contorsionne selon un circuit qui définit les composants-siège-dossier-piétement, avec des références aux angles arrondis comme ceux de Wassily. Cependant, cette référence reste essentiellement formelle et loin des préoccupations sociales et idéologiques de Marcel Breuer, car, sur le plan de sa diffusion, l'objet se valorise par une production limitée. Son édition quitte la conception de grande série pour se déplacer vers celle de l'art et de sa spéculation marchande. Cette confrontation apparaît particulièrement démonstrative de tous les territoires auxquels se confronte le design sur les plans sociologiques, technologiques, économiques, politiques, et bien sûr artistiques. 

Le siège Wassily dans le contexte de son époque, ne connut aucune reconnaissance de sa démarche altruiste et sociale. C'est seulement dans les années 1965, au moment où la société de consommation fera émerger, à travers les multiples productions, le concept de design, que, paradoxalement, la firme américaine d'édition Knoll, dans une version très « haut de gamme», le rééditera...!

9 Forme / Informe


A gauche : Sacco, Piero Gatti, Cesare Paolini, Franco Teodoro, 1968, FRAC
A droite : Richard III, Philippe Starck, 1981, Mobilier National Paris

Sacco est une pièce majeure de l'histoire du design. Son apparence évacue tous les repères habituels : siège, dossier, accoudoirs, piètement. Il offre la forme globale d'un sac composé de billes de polystyrène qui se soumet à toutes les postures et toutes les morphologies. En faisant l'éloge du mou, il déplace vers l'espace de l'habitat, celles relâchées et détendues de la plage, en dérangeant l'ordre établi des conventions. Plus encore, en se référant au philosophe Heraclite affirmant qu'« on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve », avec le Sacco « on ne s'assoit jamais deux fois dans le même siège ». 

Philippe Starck dans son projet Richard III fait également référence à un mobilier où la mollesse du confort est présente. En découvrant le célèbre siège club abandonné sur un trottoir et complètement déstructuré, il conçoit un manifeste critique de sa conception. Il explore la technologie issue de l'aéronautique propre à sa propre généalogie familiale et redessine en creux la volumétrie d'apparence qui met en scène et dénonce les artifices redondants de sa mise en forme et de sa production. Il baptise ce siège Richard III faisant allusion à ce roi d'Angleterre célébré par Shakespeare pour sa difformité physique et sa redoutable accession au pouvoir. Le choix de ce siège édité par le Mobilier national et destiné au président de la République François Mitterand, alors élu en 1981, peut, un court instant, inciter à méditer sur son fondement...

10 Protection / Réception


A gauche : Miss Blanche, Kuramata, 1969, Centre National Arts Plastiques
Au centre : Tapis volant, Ettore Sottsass, 1975, FRAC
A droite : Teorema, Claude Courtecuisse, 1969, Galerie Velvet Paris


La confrontation de ces trois sièges pourrait se référer à trois actions : projection, réception, élévation. Teorema est une version en méthacrylate transparent du siège Mercurio réalisé en 1969 pour le Salon des Artistes Décorateurs au Grand Palais à Paris. Sur la coquille supérieure du siège est sérigraphié le portrait de l'acteur anglais Terence Stamp dans le rôle de l'ange visiteur du film de Pasolini, Théorème. Ce film est une parabole biblique contemporaine où cet ange visiteur va contacter « charnellement » tous les membres d'une famille de la grande bourgeoise milanaise, afin de les libérer de leurs conventions, les faisant renaître à leur nature et identité profondes. Réalisé en 1967, il traduit dans sa métaphore provocante le bouleversement des structures sociales, professionnelles et industrielles qui ont identifié, dans le contexte international de cette époque, l'innovation rayonnante du design italien. Selon les sources d'éclairage qui l'entourent, ce siège, projette sur son environnement proche sa volumétrie ornementée, élargissant sa présence dans l'espace habité.

Miss Blanche procède d'un scénario inverse. Kuramata conçoit dans un premier temps un siège dont l'apparence formelle reste volontairement traditionnelle. Moulé en résine acrylique transparente il « reçoit » sous forme d'inclusion, des fleurs de pommier roses qui semblent flotter en lévitation dans sa masse volumétrique. Ainsi, il fait venir dans la constitution de son sujet ces références florales lointaines qui identifient le paysage japonais et que tous les peintres ont depuis des siècles captées et reproduites.

Ettore Sottsass, dans les années 1985, durant lesquelles le mouvement postmoderne va inspirer architectes et designers, met en scène un siège en affirmant une disparité provocante dans l'assemblage de ses composants. Le siège et le dossier ont des matières et des couleurs différentes et les accoudoirs, dont l'un a la mollesse d'un coussin et l'autre la rigidité d'une structure en bois, sont dissymétriques. Mais ce qui déplace totalement la perception de ce fauteuil, c'est qu'il est associé au tapis carpette sur lequel il est posé. Dans ce jeu de collages ironiques et poétiques, le siège s'associe à son environnement habitable, élargissant ainsi les limites de son territoire conventionnel. Baptisé Tapis volant, on attend impatiemment de le voir s'élever vers un « voyage immobile »...

11 Citations


A gauche : Série 7, Arne Jacobsen, 1955, Ed. Fritz Hansen
Au centre : Tulip armchair, Eero Saarinen, 1956, Ed. Knoll
A droite : Chaise DSW Eiffel, Charles et Ray Eames, 1950, Ed. Vitra


Masters, Philippe Starck, 2009, Ed. Kartell

Dans Masters, Philipe Starck reste fidèle à une de ses procédures de créations qui se construisent à partir de citations ou de références à des œuvres existantes. Admiratif de Arne Jacobsen, Eero Saarinen et du couple Eames, il décide de concevoir un siège dont la configuration reste relativement classique mais dont le dossier, très linéaire, reprend la forme de celle de ces trois célèbres sièges. Ainsi il procède d'une relecture de l'histoire du design contemporain, ce territoire qui l'identifie, en lui témoignant la reconnaissance et l'importance de ce qu'il développe et génère dans notre univers quotidien.

12 Quand l'art s'emmêle


A gauche : La Chaise, Charles et Ray Eames, 1948, Ed. Vitra
A droite : Red and blue chair, Gerrit Rietveld, 1918-23, Ed. Casino

Ici, pas de confrontation. Les options qui ont orienté leur conception dans le champ du design industriel les réunissent par les mêmes choix d'influences, liées à des nouveaux mouvements artistiques de leur époque. Le design de La Chaise échappe à la procédure particulièrement rigoureuse et méthodique qu'ils s'imposent habituellement dans leurs démarches de designers. Il offre une double lecture : sculpturale par ses formes et sa mise en scène - comme s'il flottait dans l'espace - et fonctionnelle, par une volumétrie modulée pour recevoir diverses postures. Amis de l'artiste français Gaston Lachaise, immigré aux États-Unis et qui donnera son nom à l'œuvre, Ray et Charles Eames élaborent le concept et la procédure de forme de l'assise en explorant les références esthétiques de ses sculptures, esthétique influencée par les tendances abstraites des années 1930 qui s'associe à celle d'autres artistes tels que Hans Arp, Henry Moore ou Barbara Hepworth.

Rietveld procède d'une démarche similaire en puisant son inspiration dans le mouvement néerlandais De Stijl des années 1920 initié par l'architecte théoricien Théo van Doesbourg. Il construit, en conciliant les contraintes ergonomiques d'un siège, un assemblage à la fois primaire et structuré de plans et de tasseaux de bois. L'assemblage est coloré de façon codée : rouge et bleu pour l'assise et le siège, noirs pour les composants porteurs dont la section des extrémités est teintée en jaune. 

Cette œuvre, composée comme une démonstration didactique, se réfère, dans le contexte historique de son époque, à la géométrie des peintures de Piet Mondrian, transposée en trois dimensions. Cette référence est confirmée par sa mise en forme dont les composants, fixés uniquement par collage, s'opposent volontairement à la logique technique de construction des assemblages basiques à mi-bois que tout artisan menuisier aurait professionnellement pratiquée.

13 Provocation


A gauche : Wire Chair DKR-Eiffel, Charles et Ray Eames, 1951, Ed. Vitra
A droite : Sassi, Piero Gilardi, 1968, FRAC

Cette confrontation démontre, par leur opposition extrême, que cet espace de la pensée et de la création qu'est le design, est riche et disponible à toutes les formes d'appropriations.

Wire Chair DKR repose sur un concept de design radical où toutes les étapes de sa conception sont contrôlées et étudiées et constitue une réponse exemplaire dans son accomplissement. La structure de son piétement en tiges d'acier, assemblées en quatre pyramides triangulaires inversées, est disponible pour recevoir plusieurs variantes d'assises : métalliques ou en en matière plastique ABS, éventuellement gainée. En étudiant la configuration de sa coquille à l'aide d'une structure grillagée, Ray et Charles Eames se sont aperçus de l'unité qu'elle produisait avec la linéarité de son piétement. Ils décidèrent d'en établir une version dénommée Tour Eiffel par l'analogie formelle avec une autre structure célèbre. Piero Gilardi utilise la mousse dans cette période faste où l'exploration des matières plastiques monopolise l'univers européen du design de produit. Fidèle au baroque de cette Italie rayonnante dont il est originaire, il réalise d'abord des fragments de paysage qu'il dénomme : tapis nature. 

Ces créations sont en mousse souple issues de moulages hyperréalistes d'espaces naturels tels que des clairières avec chablis, branchages, ou des jardins potagers avec alignements de salades. Puis, ces tapis sont installés à l'intérieur de l'habitation, bouleversant ainsi, par ce déplacement des territoires, l'ordre des codes et des repères établis. Sassi est le moulage d'un rocher. Ce fragment de montagne, devenu siège, installé au milieu du salon interroge l'espace par sa présence insolite et anachronique. Paradoxalement, il surprend et offre la sensualité rassurante d'un confort épicurien.


-------------------------------


Textes de Claude Courtecuisse 15/02/2016

Fauteuil Richard III (aluminium garni de cuir fauve) : © Isabelle Bideau • Miss Blanche (pied en aluminium ; siège, dossier et accoudoirs en résine acrylique avec inclusion de fleur en papier ) : © droits réservés/ Cnap/photo : Galerie Yves Gastou • Ed Archer (coque en tube d'acier avec des éléments élastiques, pied postérieur en fusion d'aluminium poli revêtement fixe en cuir) : © droits réservés Driade • Masters (polypropylène) : © droits réservés Kartell ■ Chaise Solld C2 (stéréolithographie) : © Thomas Duval • Donna IIP 5etUP6 (mousse de polyuréthane moulée recouverte de tissu stretch) : © droits réservés/B&B Italia • Teorema (méthacrylate thermoformé et sérographié) : © Claude Courtecuisse • S.P Siège Pliant (hêtre) : © Claude Courtecuisse • Tabouret Lucien (dacryl : résine acrylique) : © Claude Courtecuisse • Trice Chair (fibre de verre et toile de nylon) : © droits réservés Collection Frac NPCD • Sassi (polyuréthane expansé et peint) : © Piero Gilardi Collection Frac NPCD • Love me tender (acier inox) : © Adgap, Paris Photographe : Mario Parodi • Tapfe volant (bois, polyuréthane et velours) : © Adgap, Paris Collection Frac NPCD • Sacco (cuir et billes de polystyrène) : Arch Franco Teodoro Collection Frac NPCD • Allunagio (piétement en tube d'acier émaillé, assise en aluminium) : © Archivio A.Castiglioni, P. G. Castiglio-ni, P. Manzu. Photographe M. Anssens Collection Frac NPCD • Mezzadro (pied en porte-à-faux en acier chromé, assise de tracteur en acier embouti, base en hêtre naturel) : © Archivio A.Castiglioni, P.G. Castiglioni, P. Manzu. Photographe Muriel Anssens Collection Frac NPCD • Louis Ghost (injec¬tion de polycarbonate en moule simple) : © droits réservés Kartell • DKR (acier chromé) : © droits réservés Vitra • DSW (coque en polypropylène, piétement bois d'érable avec croisillons) : © droits réservés Vitra • La Chaise (coques de fibre de verre, piétement acier, croisillon de piétement en chêne naturel) : © droits réservés Vitra • Red and Blue (structure hêtre laqué, assise et dossier en placage laqué) : © droits réservés Cassina • Superleggera (châssis en frêne naturel laqué noir, assise en cannage des indes) : © droits réservés Cassina • Série 7 (siège en contre-plaqué moulé, placage en teck, piétement en tube cintré chromé) : © droits réservés Fritz Hansen • Tulip (piétement en fonte d'aluminium gainée de plastique, assise : coquille en fibre de verre moulée) : © droits réservés Knoll • Butterfly (contre-plaqué moulé, tendeur en laiton) : © droits réservés Vitra • Wassily (châssis en tube d'acier cintré et nickelé, siège et dossier en cuir) : © droits réser¬vés Knoll • Chaise Unlversale (plastique moulé par injection) : © droits réservés Kartell • Chaise Panton (polyuréthane) : © Marianne Panton Collection Frac NPDC.



-------------------------



Prolongez votre visite en boutique avec ces références :

- Design de chaises, E. Wilhide (ed. Pyramid), 
- 1000 Chairs, C. et P. Fields (ed. Taschen)
- Chaises, C. et P. Fields (ed. de la Martinière)
- Petite encyclopédie du Design, E. Morter (ed. Solar)
- Histoire des objets, Chroniques du design industriel, R. Guidot (Hazan)