L'Usine Cavrois-Mahieu & Fils




Roubaix, qualifiée de ville aux 1 000 cheminées (en réalité il y en avait 350), est au début du XXe siècle la capitale de l'industrie textile. La ville possédera même, pendant quelques années, le siège de la bourse mondiale de la laine avant son retour à Sydney. Une grande Exposition Internationale consacrera en 1911 cette suprématie. Paul Cavrois fait partie des grandes familles du textile du Nord de la France, sa fortune le classe en 17ème position parmi les industriels de cette branche. C'est grâce à cette position qu'il pourra attirer Mallet-Stevens dans la région septentrionale, en lui demandant de réaliser une villa, plus que provocante pour ses concurrents. Cette rivalité fut finalement plutôt stimulante pour l'économie régionale, et aussi pour la création artistique et architecturale. L'introduction de Robert Mallet-Stevens dans ce milieu, lui permit même d'envisager la réalisation de logements ouvriers pour la Lainière de Roubaix. Son attachement au Nord de la France se concrétisa avec sa nomination comme directeur de l'Ecole des Beaux-Arts de Lille.


Fondée en 1887 par Jean Cavrois-Lagache et Auguste Cavrois, l'établissement situé rue Montgolfier à Roubaix, ne comprend à ses débuts qu'une filature de 12 000 broches, qui par suite d'augmentations successives a vu son nombre de broches à filer presque doubler, complété par un retordage de 8 000  broches. Cet ensemble fabrique tous genres de fils de laine.



Progressivement sont installés un tissage mécanique (1892) et une teinturerie sur laine peignée (1899) assurant à cet ensemble, l'exclusivité des nuances employées dans la filature et le tissage. La fabrication des tissus était uniquement destinée à l'habillement homme-femme-enfant.



En 1910, les deux principaux actionnaires intègrent leur fils aînés respectifs, Maurice Cavrois-Motte et Jean Cavrois-Vanoutryve.

En 1912, l'entreprise acquiert à Louviers (Eure), un bâtiment et des terrains sur lesquels elle construit une unité de foulage, teinture et apprêts de pièces de tissus.

A la veille de la Première Guerre mondiale, la filature de laine et tissage Cavrois-Mahieu emploie 520 personnes, dispose de 16800 broches et produit environ 600 000 kg de laine.

Entre 1914 et 1918, l'entreprise interrompt son activité. Elle a d'ailleurs subi d'importants dégâts dans ses ateliers et déplorera la disparition de Jean-Cavrois-Vanoutryve.




L'établissement retrouve son niveau de production grâce aux efforts de Paul Cavrois entré en 1919. Il contribue au développement et à la croissance de l'entreprise dont l'apogée se situera dans les années 1950. En 1928, Paul Cavrois rachète les parts de la branche d'Auguste et en 1933, l'acquisition de locaux, rue Claude Lorrain à Roubaix, lui permet de développer une activité de fabrication et de négoce de fils à tricoter main sous la marque "CAMAFI". Cette unité sera confiée à Jean Cavrois-Valentin jusqu'en 1955.

En 1935, Paul Cavrois-Vanoutryve, prend véritablement la direction de l'entreprise. Ses fils intègrent l'entreprise, en prenant chacun la tête d'un rayon :

- Jean (filature) 
- Michel (teinturerie) 
- Francis (tissage)
- Paul (apprêts à Louviers : teinture sur pièces)



Pendant la Seconde Guerre mondiale, le siège social de l'usine est transféré à Louviers. La production est ralentie pendant toute la durée de la guerre.

En 1946, Paul Cavrois donne une nouvelle structure à son ensemble d'activités en créant différents établissements juridiquement et financièrement autonomes :

- Cavrois-Mahieu et Fils (CMF) avec pour vocation le négoce de fils industriels et de tissus.
- SARL Les Fils de Jean Cavrois (FJC), entreprise façonnière en teinture filature et tissage.
- SARL " Usine de La Motte " (ULM), façonnerie en teinture et apprêts sur pièces de tissus, implantée à Louviers.

En 1965, à la disparition de Paul Cavrois-Vanoutryve, Jean Cavrois-Valentin est nommé président directeur général de Cavrois-Mahieu & Fils ; il prend la direction du groupe.

En 1967, une opportunité se présente de reprendre la filature Valentin-Roussel à Tourcoing, place de la Victoire. Celle-ci faisait faire sa teinture sur peigné par la société Les Fils de Jean Cavrois.

En 1976, Francis Cavrois est nommé président directeur général à la place de son frère Paul. La société " Usine de La Motte " survivra difficilement à l'arrêt du tissage à Roubaix, le marché continuant à se dégrader avec la perte de clients. Elle fermera ses portes en 1985.

En 1987, Francis Cavrois cède la place à son fils Olivier Cavrois (à la tête de l'activité filature depuis 1976). L'excellente conjoncture de 1985 ne se renouvellera pas et la crise frappe Cavrois-Mahieu à partir de 1986. Une restructuration est effectuée en 1989 et 1991 (équipe d'encadrement, de fabrication et de l'équipe commerciale).

La filature Valentin-Roussel arrête également son activité et est dissoute ; le réseau commercial fusionne avec Cavrois-Mahieu & Fils.

La société " Les Fils de Jean Cavrois " devient société immobilière et cède son matériel industriel à Cavrois-Mahieu. La société Cavrois-Mahieu redevient une société industrielle et commerciale ayant pour objet la fabrication et la vente de fils bonneterie. Elle exercera son activité dans les locaux loués à la société " Les Fils de Jean Cavrois ".



Les mesures ne permettent pas de redresser l'entreprise. Le bilan est déposé en 1991, la fermeture a lieu en 1996. A cette date, Monsieur Luc Debue, ancien directeur financier et liquidateur de la Maison Cavrois-Mahieu crée la filature de la Potennerie, après rachat de la société immobilière.

Actuellement, l'établissement situé 117, rue Montgolfier à Roubaix, abrite 5 sociétés :

- Société NERTEX
- SRTB Société roubaisienne de travaux de bâtiment
- ADMO Alain Desrousseaux, maître d'œuvre
- CAP DEV' (Capital client développement)
- Fil 117 (Luc Debue)



Le terme générique de « La Forge » désigne un ensemble de locaux situés dans l’ancienne usine textile Cavrois-Mahieu (fondée en 1887 et fermée en 2000) présentant de nombreuses pièces et un beau panorama sur l’ensemble de l’usine.


Le couloir de passage à la base de la plus grande cheminée, haute de 40 m, de l'usine Cavrois-Mahieu & Fils. A la base, le diamètre est de 3,50 m. Photographie Guy Selosse ©


Menacée de démolition, cette parcelle a été sauvée par l’association « Le Non-Lieu » la maintient y introduisant des activités de création artistique contemporaine (événements, expositions, résidences d’artistes,…). L’association qui a fêtée ses 10 ans l’année dernière continue son bonhomme de chemin comme s’en félicite le président de l’association, Olivier Muzellec : « Qui aurait pu imaginer, quand une petite équipe de personnes motivées a créé en 2002 l'association Le Non-Lieu, qu’en dix ans elle accumulerait un tel palmarès ? »


La plus grande des deux cheminées de l'usine textile Cavrois-Mahieu & Fils, vue de l'intérieur, avec ses barreaux qui permettaient d'accéder au sommet pour l'entretien et le ramonage. Photographie Guy Selosse ©
Alain Lauras, pensionnaire actuel du site, nous livre des sculptures et gravures en métal : « Nous avons transformé l’ancienne cuve à fioul pour en faire un lieu d’exposition de nos œuvres. On y trouve nos sculptures et gravures en métal. Il s’agit de buildings en acier forgé chauffé à plus de mille degrés », décrit-il. Cette façon de travailler la matière est en phase avec le passé industriel du site. Cette recherche d’adéquation entre l’histoire de cette usine et les œuvres présentées est la véritable marque de fabrique de la structure.


Roubaix a laissé filer son textile. 
En liquidation, Cavrois-Mahieu joue sa dernière chance aujourd'hui.

Publié par Hugues Beaudouin le 8 mars 1996 dans Libération

Jeudi 29 février, les portes de la filature Cavrois-Mahieu à Roubaix (Nord) se sont refermées. En grinçant. Dernière filature de laine peignée indépendante à Roubaix, Cavrois-Mahieu n'a pu éviter une liquidation judiciaire, prévisible depuis le dépôt de bilan en 1991. Aujourd'hui, date de dépôt limite pour les projets de reprise, le dossier sera bouclé. Ou bien l'administrateur trouvera sur son bureau un projet solide; ou bien on ne parlera plus du tout de la filature Cavrois-Mahieu. Les 57 salariés ont quitté leur usine, conscients, pour la plupart, que leur vie professionnelle était sur le point de s'achever. Chacun avait apporté jus de fruit et biscuits pour un au revoir lourd en émotions. Quelques larmes chez ceux qui ont travaillé dans cet atelier plusieurs dizaines d'années, alors que les plus jeunes, déjà, pensent à leur reconversion.

Une reconversion bien hasardeuse : en six mois, la métropole Lille-Roubaix-Tourcoing a perdu 2 000 emplois dans le secteur textile.

Mardi, dans les locaux de Cavrois-Mahieu, un semblant d'espoir avait repris le dessus. Le PDG Luc Debue et son directeur technique, Christian Grzesiak, ont pris la tête du « commando de reprise » qui regroupe une douzaine de personnes. Pendant que le premier part à la rencontre du préfet et du ministre de l'Industrie, en visite à Roubaix, l'autre tente de réunir les 500 000 francs nécessaires pour présenter le projet au tribunal de commerce. « Une partie de l'histoire de Roubaix s'est faite sur le textile. On ne peut se résigner à tirer un trait sur cette histoire comme cela, précise Christian Grzesiak. Je suis l'un des plus jeunes ici, mais certains ont plus de trente-cinq ans de présence à Cavrois-Mahieu. Ils n'ont quasiment aucune chance de retrouver du travail, d'autant plus que la plupart ne quitteront jamais Roubaix. La clientèle existe et nous maîtrisons le savoir-faire et l'outil de travail. Le plan de relance du textile nous aidera peut-être à faire redémarrer l'usine. Le licenciement économique de 57 personnes et les indemnités de chômage pour tous ceux qui ne trouveront pas de travail dans les quatre ou cinq ans à venir vont coûter beaucoup plus cher à la collectivité que les aides à la reprise que nous pouvons obtenir. »

Persuadés de la fidélité de leur principal client, Damart, les ex-salariés veulent encore croire que le gouvernement a aussi confiance en l'avenir de l'industrie textile du Nord. « Nous avons su nous diversifier, dans le fil fantaisie, par exemple. Les évolutions techniques ne nous effraient pas », ajoute l'un d'entre eux. Et chacun de passer en revue les vraies raisons de la liquidation : la récession de l'automne, les grèves de décembre, la dévaluation de la lire, les délocalisations... Leur projet, ainsi que celui du « groupe français qui a manifesté son intérêt pour une reprise de l'usine », assure une source proche du dossier sont, ce matin, sur le bureau de l'administrateur.